Or et diamants de Centrafricains financent la guerre en Ukraine
Or et diamants de Centrafricains financent la guerre en Ukraine
La Centrafrique (5 millions d’habitants), l’un des pays les plus pauvres du continent, est ravagée par une guerre civile depuis 2013 : la Séléka, une coalition ethnique musulmane de groupes armés, avait alors renversé le régime du président François Bozizé.
Des groupes armés se disputent le contrôle des ressources du pays, tout en perpétrant régulièrement des exactions contre les populations civiles, les rackettant aussi.
Les richesses minières sont abondantes : diamant, or, aluminium, cuivre, uranium, également des puits de pétrole.
Le 6 février 2019, le gouvernement et 14 groupes armés avaient signé un accord de paix à Khartoum, mais qui s’est rapidement révélé être un échec, le comble étant l’alliance, fin 2020, des six groupes armés les plus puissants : ils forment depuis la Coalition des patriotes pour le changement (CPC).
Depuis, la CPC poursuit sa conquête meurtrière du pays, pillant les armes des forces centrafricaines et les richesses minières du pays, facilement revendues aux pays voisins grâce aux frontières poreuses.
Les attaques s’accompagnent de violences contre les populations, et de pillages.
Des dizaines de milliers de civils fuient.
Les gangs infestent la Centrafrique où l’État n’existe quasiment plus et où l’insécurité règne partout en dehors de la capitale, Bangui.
Par-dessus le marché, l’armée et ses alliés russes commettent aussi des exactions.
Détaillons les forces en présence :
- La Mission de l’ONU en Centrafrique : la Minusca. Son rôle est de protéger la population, le processus électoral et la stabilité du pays. Au sein de la Minusca, 14 400 militaires et 3 020 policiers.
- Les forces de sécurité centrafricaines (les FACA). Peu efficaces. De plus, la désertion est importante, et la lutte est entravée par un embargo sur les armes.
- Les paramilitaires russes de Wagner, censés aider les FACA : entre 1.000 et 2.000 « instructeurs russes ».
Les violences augmentent
Le pays est plongé dans un cycle incessant de violences communautaires, religieuses et ethniques : les exactions ont augmenté au cours des 3 derniers mois. Le nombre de victimes est passé de 564 au premier trimestre 2022 à 1.300 au cours du dernier.
Les groupes armés sont responsables de 42% des violations enregistrées, contre 58% pour les FACA et les forces bilatérales. Et en mars, l’ONU disait craindre une aggravation des violences et une multiplication des violations des droits humains, ce qui arriva effectivement.
Nombreuses exactions des rebelles de la CPC
On ne peut énumérer tous les actes criminels de la CPC.
Je vais simplement évoquer ce qui est récent.
Le ministre de la Justice accuse la CPC d’avoir tué 9 Chinois mi-mars sur un site minier du centre du pays.
Mais les rebelles nient, accusant les mercenaires russes du groupe Wagner et leurs alliés (des miliciens locaux appelés « russes noirs »).
La CPC explique qu’ils ont tué les Chinois afin d’éviter la concurrence dans le secteur minier dans la province de la Ouaka.
Un expert indépendant de l’ONU a qualifié début mars la CPC d’« ennemi de la paix » après qu’une attaque contre une base des FACA à Sikikédé (nord-est) a fait plusieurs morts parmi les soldats en février. Plusieurs membres des FACA sont morts, et une vingtaine faits prisonniers (libérés début avril).
L’armée sème le chaos
L’armée est censée protéger la population, mais en réalité, avec ses alliés (c’est à dire Wagner), elle a commis 58% des violations des droits humains au cours du dernier trimestre de 2022.
Arrestations, détentions illégales, mauvais traitements, tortures, mutilations, meurtres…
Les populations les plus ciblées sont les communautés peules et musulmanes, accusées de complicité avec les rebelles.
Parmi les derniers événements en date, mi-avril, les habitants d’Obo, (située à l’extrême sud-est), ont de nouveau subi les exactions des FACA : viols, pillages… Résultat, les écoles sont fermées, les commerces et les marchés tournent au ralenti, et la population fuit dans la brousse.
Au point de départ, les FACA voulaient mener une opération contre des miliciens d’autodéfense locaux qui avaient attaqué une base de l’armée nationale une semaine auparavant.
Un peu plus tôt en avril, c’était la panique générale dans le village Toubanko 1 (situé à l’extrême-ouest), où les FACA ont pillé, agressé et violé.
La quasi-totalité des habitants a fui dans la brousse.
Les mercenaires de Wagner vont-ils quitter le pays ?
Le groupe paramilitaire russe est devenu une plaie pour la Centrafrique.
Présenté il y a plusieurs années comme une aide importante pour protéger le président et le gouvernement des groupes armées, ses nombreuses exactions contre la population plongent le président Faustin-Archange Touadéra dans une impasse.
Cela d’autant plus que la population voit s’envoler les richesses du pays, car en échange du soutien russe, le pouvoir a accordé des permis d’exploitation minière aux Russes.
Le président est donc accusé de livrer les ressources naturelles, notamment le diamant et l’or, ce qui permet à la Russie de financer la guerre en Ukraine.
Omniprésent (13 bases militaires en Centrafrique) et hors-de-contrôle, Wagner se montre aussi très agressif avec la population : exactions sur des civils, meurtres, viols, pillages, assassinats de dépositaires de l’autorité publique (maires, préfets, sous-préfets, commissaires de police, commissaires de gendarmerie, et même des FACA)…
En décembre 2022, les Etats-Unis classent Wagner comme « organisation criminelle transnationale », puis cessent de financer l’État Centrafricain.
Une catastrophe pour ce pays pauvre.
Le président Touadéra pense donc à éventuellement mettre fin à sa collaboration avec Wagner, d’autant plus que les Etats-Unis proposent à la Centrafrique d’intéressantes aide financière, humanitaire et militaire.
Mais des membres du gouvernement y sont opposés car corrompus par la Russie.
Cela alors que les paramilitaires russes, censés appuyer les forces armées nationales, entravent parfois la mission de l’ONU, la Minusca, également présente pour lutter contre les groupes armés.
Wagner et les FACA échouent contre les groupes armés
Les paramilitaires font face à une pression croissante des groupes armés dans une lutte sans pitié pour s’accaparer les richesses naturelles du pays.
Je vais citer quelques évènements récents.
Début avril, Wagner a tué 3 orpailleurs centrafricains ont lors d’une opération militaire dans l’Ouham-Pendé, situé au nord-ouest, sur des chantiers miniers.
Les mercenaires disaient vouloir neutraliser les rebelles de la CPC qui avaient attaqué leur base militaire, mais s’en sont pris aux orpailleurs.
Depuis fin 2022, la CPC a adopté une stratégie qui met Wagner (et les FACA) en difficulté : attaquer par surprise puis quitter rapidement les lieux, le « hit and go » en anglais.
Cela cause des pertes humains et matérielles importantes pour les forces en présence.
Par ailleurs la conquête se poursuit pour la CPC : après avoir revendiqué une série d’attaques, les rebelles ont pris Sikikede, dans le nord-ouest du pays, après en avoir attaqué la base militaire.
Malgré tout, un succès de la Minusca à noter : en mars elle a arrêté le chef régional d’un groupe armé accusé de violations des droits humains, le « Général » Hussein Damboucha, commandant régional du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC) et membre de la CPC.
Chasser les Français de Centrafrique
Poussés par le groupe russe Wagner, de nombreux Centrafricains veulent éjecter toute présence française du pays.
Wagner finance des manifestations contre la France (et aussi contre la Minusca).
Les Centrafricains étant pauvres, c’est pour eux intéressant de gagner un peu d’argent.
A noter récemment, TotalEnergies finalise la vente de sa filiale, officiellement en raison de menaces et du marché noir.
D’autre part, une brasserie du groupe français Castel, un pilier de l’influence économique française, a été incendiée à Bangui début mars.
Les paramilitaires de Wagner sont soupçonnés d’avoir allumé le feu.
Castel est une cible idéale car le groupe est visé par une enquête française pour crimes contre l’humanité en Centrafrique.
Ceci après un rapport de l’ONG The Sentry comme quoi Castel a soutenu financièrement des groupes rebelles centrafricains, jugés terroristes.
Suite à cela la Russie paie des manifestants contre Castel.
Wagner aimerait bien prendre le contrôle de la brasserie Castel, d’autant plus que l’un des cadres de la milice, Dmitri Syty, a lancé sa propre marque de bière, Africa Ti Lor.
Moscou est d’une façon générale agacé par la présence française qui perdure en Centrafrique, notamment au travers des groupes Bouygues, Bolloré et Castel.
Il y a deux ans déjà, un incendie avait en partie ravagé le siège de la compagnie de téléphonie Orange.
Le président Touadéra semble approuver Wagner contre la France lorsque 3 jours après avoir rencontré le président français Emmanuel Macron en mars, il a accusé l’Occident d’entretenir l’instabilité politique dans son pays.
Il dénonce le pillage des ressources naturelles par l’Occident, alors que c’est ce que fait la Russie en ce moment-même, en échange de sa protection pour son maintien au pouvoir. Et au lendemain de la rencontre avec le président français, une manifestation de soutien à la Russie a été organisée à Bangui.
La Centrafrique est-elle devenue une dictature ?
L’ONG Human Rights Watch (HRW) a publié un rapport accablant sur les libertés civiles dans le pays.
Elle dénonce une répression de la société civile, des médias (Wagner mène une guerre de l’information en Centrafrique) et des partis politiques d’opposition.
Elle évoque un parti unique. Les autorités contestent ce rapport.
Le journaliste centrafricain Ben Wilson Ngassan dénonce aussi les atteintes à la liberté d’expression, l’interdiction de manifestations pacifiques de l’opposition, et des relents de dictature.
Notamment, la mise à la retraite d’office de la présidente de la Cour constitutionnelle, Danièle Darlan, a choqué car elle s’opposait au projet de référendum sur le changement de Constitution, accusé par l’opposition de soutenir un 3e mandat du président.
Elle était pourtant soutenue par ses collègues de la cour et par l’opposition.
Par ailleurs, alors que les élections locales en République centrafricaine ont été reportées à deux reprises, l’on s’interroge sur la possibilité de les maintenir pour juillet 2023.
Les prochaines élections municipales et régionales sont prévues le 16 juillet. Les dernières ont eu lieu en 1988.
Les problèmes d’organisation sont conséquents, et les principales formations d’opposition ont décidé de les boycotter
Il y a aussi d’importants problèmes de budget, et bien sûr de sécurité.
Corruption ?
Le gouvernement est soupçonné de corruption, car il n’a pas fait de bilan chiffré des réalisations faites grâce aux aides internationales.
Par ailleurs, le chef d’État-major de l’armée est au cœur d’un scandale de corruption et de détournement massif de fonds, ce qui met l’armée en colère.
Le général Zéphirin Mamadou et son épouse sont accusés d’avoir détourné plus de la moitié du budget annuel de l’armée en seulement trois ans.
Argent utilisé entre autres pour faire des prêts aux soldats avec des taux d’intérêt élevés, ce qui les plonge dans des dettes importantes et perpétuelles.
Grande détresse humanitaire
La Centrafrique ne compte une population que de 5 millions d’habitants, parmi lesquels un million de personnes sont des déplacés internes ou des réfugiés dans les pays voisins.
Et la moitié de la population aura besoin d’aide alimentaire en 2023.
Face à ce drame, la Chine offre 418 tonnes de riz.
D’autre part le Conseil de sécurité a lancé un appel de fonds de 465 millions de dollars.
Par ailleurs, en 2022 la Minusca a financé 98 projets à impact rapide afin de renforcer la stabilité et d’améliorer les conditions de vie des communautés locales.
Elle continue sur cette voie en 2023.
La Centrafrique est d’autant plus en difficulté que les Etats-Unis refusent désormais de la financer, en raison des exactions du groupe paramilitaire Wagner.
Hormis les difficultés à se nourrir, les Centrafricains rencontrent également des embûches pour se soigner.
Un grand nombre se tourne vers des pharmacies sauvages, moins onéreuses que les légales.
Elles sont vitales pour la population pauvre, bien qu’y prolifèrent médicaments de mauvaise qualité ou favorisant la résistance aux antibiotiques.
Le pays souffre aussi d’une pénurie en matière de soins : manque de personnel qualifié (souffrant de mauvaises conditions de travail), d’équipements, et de médicaments.
Dans ce domaine également l’aide internationale est vitale : environ 70% des services médicaux dépendent d’organisations humanitaires.
Les enfants lourdement victimes
Les enfants de moins de 14 ans représentent plus de 40% de la population.
Malgré une réussite du gouvernement – avoir confié depuis 2014 plus de 15.000 enfants à des services de réinsertion – les conflits armés continuent d’affecter les mineurs davantage que les adultes :
- Séparés de leurs parents, tués ou mutilés
- Malnutrition infantile majeure
- De nombreux enfants ne sont pas scolarisés
- Taux de mortalité infantile très élevé
- Recrutés par des groupes armés ; les filles subissent des violences sexuelles
Toujours un plaisir à vous lire, merci!
Merci à vous !