Yémen : les Houthis se renforcent tandis que le Sud gronde

Yémen : les Houthis se renforcent tandis que le Sud gronde

 

 

 

Le Yémen est un pays fragmenté.

Le Nord et l’Ouest sont occupés par les rebelles houthis depuis 2015.

 

Suite à leur prise de Sanaa, la capitale, en 2014, une coalition dirigée par l’Arabie saoudite est intervenue au Yémen, à la demande du gouvernement officiel.

 

Cela fait donc 8 ans que la guerre dure entre les Houthis et cette coalition.

Le gouvernement légitime du Yémen occupe la majeure partie d’un pays d’autant plus fragilisé que le Sud sécessionniste monte en puissance.

 

Les Houthis sont soutenus par l’Iran (qui dément toujours leur fournir des armes), le Yémen officiel par l’Arabie saoudite et le Sud par les Emirats arabes unis.

Longtemps, Arabie saoudite et Emirats arabes unis étaient unis au sein de la coalition.

 

Mais les tensions sont maintenant à leur comble, tandis que l’espoir renaît sur un accord de paix entre le Yémen officiel et les Houthis, à l’aune de la récente réconciliation entre Arabie saoudite et Iran, grâce à la Chine. Ces deux pays ont notamment décidé le 10 mars de rétablir leurs relations diplomatiques.

 

En 8 ans, le conflit avec les Houthis a fait plus de 377 000 morts, déplacé 4 millions de personnes et provoqué la plus grave crise humanitaire au monde : 22 millions de personnes ont besoin d’aide. Près des trois quarts de la population du pays dépendent de l’aide humanitaire pour survivre.

 

De plus, il existe maintenant dans le pays une multitude de groupes armés, notamment à Aden, la capitale du Sud.

Et Al-Qaïda est toujours présent, même si une frappe aérienne américaine a tué l’un de ses hauts-responsables fin février.

 

Depuis plusieurs années les Etats-Unis mènent des attaques de drones contre ces djihadistes.

L’Aqpa (Al-Qaïda dans la péninsule arabique) et son rival Daech ont profité du chaos au Yémen. Aqpa s’est attaqué à la fois aux Houthis et aux forces gouvernementales.

 

Le cessez-le-feu dure entre la coalition et les Houthis

Vu l’impossibilité de déloger les Houthis qui de plus lancèrent des attaques contre le sud de l’Arabie saoudite et aussi contre les Emirats arabes unis, les belligérants consentirent à une trêve de six mois en avril 2022.

 

En octobre 2022, les négociations pour la prolonger échouèrent ; néanmoins le cessez-le-feu se poursuit dans les faits, malgré des incidents.

Cela car l’Iran cesse de pousser les Houthis au conflit.

 

En effet ce pays est confronté à des difficultés : la contestation est forte suite au décès le 16 septembre d’une étudiante iranienne de 22 ans, Mahsa Amini.

Il est toujours isolé et souffre économiquement, notamment en raison des sanctions occidentales.

 

Malgré l’augmentation des fournitures d’armes iraniennes aux Houthis, de plus en plus de livraisons sont interceptées par les navires occidentaux.

L’idée de faire des stocks et de se renforcer pendant la trêve est donc compromise.

 

De plus, les Américains envisagent d’envoyer toutes les armes saisies, en quantité considérable, à l’Ukraine.

Or, l’Iran est allié à la Russie, et tous ces trafics déjoués vont finalement favoriser l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie.

 

Le régime iranien a d’autant plus besoin de se poser que son programme militaire nucléaire avance à grands pas, ce qui l’expose à davantage de rétorsions de la part de l’Occident.

Au vu de tous éléments, il accepte une réconciliation avec son rival, l’Arabie saoudite.

 

Vers une reconnaissance du régime des Houthis

Depuis 2021 l’Irak essayait de favoriser un rapprochement entre Iran et Arabie saoudite. La Chine y parvient, et le régime iranien se sent conforté.

Un petit bémol toutefois : le tout-puissant Corps des gardiens de la révolution islamique n’a pas encore donné sa bénédiction à l’accord signé entre l’Arabie saoudite et le gouvernement iranien.

 

En tout cas, les conséquences sont bénéfiques pour le Yémen, car une prolongation officielle de la trêve semble imminente, alors que depuis 2022 les négociations entre l’Arabie saoudite et les Houthis se poursuivent sous l’égide du sultanat d’Oman.

On espère même un accord de paix plus global, ce qui serait historique.

 

Et un jour après l’accord conclu entre Iran et Arabie saoudite, des pourparlers ont débuté en Suisse, sous l’égide de l’ONU, entre la coalition et les Houthis afin d’échanger des prisonniers. Suite à un accord datant de 2018, de nombreux prisonniers ont d’ores et déjà été échangés.

 

Huit ans après la mainmise des Houthis sur le nord et l’ouest du Yémen, puis la guerre qui a suivi, on se dirige vers une reconnaissance de leur régime.

Rien que le fait de négocier directement avec les Saoudiens constitue pour eux une avancée.

 

Quelles sont les revendications des Houthis pour signer un accord de paix ?

  • La fin du blocus économique
  • Le versement des salaires des fonctionnaires (civils et militaires)

 

Pour le moment, l’État des Houthis n’est pas reconnu par la communauté internationale, ne peut avoir accès aux réseaux bancaires internationaux, ni attirer les investissements étrangers, ni bénéficier d’aides au développement.

 

Les Houthis imposent un mode de vie islamiste

Ils veulent instaurer une théocratie.

Ils croient avoir vaincu la coalition grâce à une intervention divine.

Ils veulent toujours « libérer » La Mecque et Médine.

La population souffre de leur régime de terreur.

 

Les femmes doivent porter une abaya noire couvrant tout leur corps, et ne peuvent se déplacer sans un chaperon masculin, ce qui compromet les opérations humanitaires.

De nombreuses femmes protestent sur Twitter avec des photos de Yéménites portant des vêtements traditionnels colorés.

 

Par ailleurs, les Houthis usent de méthodes brutales et expéditives contre tout soupçon de dissidence. Même les personnes juste accusées de dissidence subissent leurs foudres.

Ils ont ainsi tué des milliers de civils, pratiquent la torture, y compris contre femmes et enfants.

 

Et de nombreux enfants sont enrôlés comme soldats. Le recrutement commence à l’école. Le paradis est promis à ceux qui s’engagent.

Plus de 120 organisations de défense des droits de l’homme et de la société civile au Yémen ont publié une déclaration commune en janvier.

 

Elles demandent à la communauté internationale à faire pression sur les Houthis pour qu’ils libèrent des milliers de dissidents, y compris des journalistes et des personnes influentes sur les médias sociaux.

 

Ainsi, 4 Youtubers sont jugés en raison de leur opinion négative sur les Houthis : ils avaient souligné leur corruption et incompétence.

Des dizaines de journalistes ont été tués par le régime, de nombreux autres sont emprisonnés et torturés.

 

Les Houthis persécutent aussi musiciens, artistes, professeurs, mannequins.

Ainsi en 2021 le mannequin yéménite Intisar al-Hammad a été enlevée puis emprisonnée par les autorités houthies pour “indécence”, ce qui a provoqué un tollé.

Le tribunal a confirmé une peine de 5 ans de prison à son encontre.

 

 

Les négociations avec les Houthis seront difficiles au sujet de deux villes yéménites

Marib est le dernier bastion loyaliste situé à seulement 120 km de Sanaa, tenue par les Houthis.

L’enjeu est de prendre possession du « triangle d’or » : Marib – Shabwa – Hadramawt, une zone riche en gaz et pétrole.

 

Si les Houthis parviennent à conquérir cette zone, ils parachèveront leur contrôle du nord du Yémen. 

La prise de Marib serait un échec retentissant pour l’Arabie saoudite, qui a des liens historiques et familiaux profonds avec Marib.

 

Actuellement, un tiers du gouvernorat est occupé par les Houthis.

Une reprise massive des combats menacerait un grand nombre de civils, car la province abrite 140 camps de déplacés, notamment le grand camp de Souwaïda.

La guerre qui fait rage depuis 2015 avait fait affluer des millions de déplacés à Marib.

 

Autre ville où la situation est explosive, Taëz, une ville du sud entourée de montagnes, assiégée depuis 2015 par les Houthis mais encore contrôlée par le gouvernement.

C’est la troisième plus grande ville du pays.

Elle est densément peuplée et la situation humanitaire est très préoccupante.

 

 

 

Le point rouge est Taëz sur la carte.

 

 

 

 

 

Les Émirats arabes unis soutiennent les sécessionnistes du Sud

Si la situation semble globalement s’apaiser entre Arabie saoudite et Houthis, il n’en est rien avec le Sud, dont les sécessionnistes, réunis au sein du Conseil séparatiste de transition du Sud (CTS ou STC en anglais), sont soutenus par les Émirats.

Ils se sentent exclus des pourparlers entre les Houthis et l’Arabie saoudite.

 

L’ONU souligne l’importance d’une trêve incluant tous les belligérants du Yémen.

Les Émirats avaient été choqués par une série d’attaques houthies spectaculaires en janvier 2022, en représailles à des victoires militaires contre les Houthis.

 

Non seulement un cargo a été détourné et son équipage emprisonné, mais les aéroports d’Abu Dhabi et de Dubaï, ainsi que la raffinerie de pétrole de Musaffah, ont été visés par des attaques.

Deux autres attaques ont visé les Émirats en janvier 2022.

 

Depuis, les Émirats restent à l’écart des combats contre les Houthis, ce qui est facilité par la trêve signée en avril 2022.

De plus, les Émirats arabes unis ont normalisé les relations diplomatiques avec l’Iran pendant l’été 2022, afin d’apaiser les tensions régionales.

 

Y aura-t-il une guerre entre Émirats arabes unis et Arabie saoudite ?

Les Émirats sont toujours officiellement dans la coalition menée par l’Arabie saoudite, mais dans les faits, il en est tout autrement.

Le CTS revendique vouloir l’indépendance du sud du Yémen.

Le sud du Yémen est riche de pétrole et de gaz.

 

Le CTS appuyé par les Émirats a conquis le sud et ses ports, et les Emirats cherchent en ce moment à établir une base militaire sur l’île yéménite de Mayyoun, dans le détroit de Bab El-Mandeb, à l’entrée de la mer Rouge, dominée jusque-là par les Saoudiens.

 

 

 

Mayyoun est le point rouge sur la carte

 

 

 

 

 

Une guerre pourrait-elle éclater directement au Yémen entre Arabie saoudite et Émirats arabes unis ?

Toute l’attention est concentrée sur les Houthis, alors que les tensions militaires sont fortes par ailleurs.

 

Le Yémen officiel, appuyé par l’Arabie saoudite, cherche à contrer les sécessionnistes du Sud.

En avril 2022 a été créé au Yémen un « Conseil présidentiel », remplaçant l’ancien exécutif. Le président du Yémen lui a transféré tous ses pouvoirs.

 

Le président de ce Conseil est Rashad al-Alimi.

Ce Conseil a été créé afin d’y réunir les différents courants politiques, y compris ceux du Sud sécessionniste, censés être tous unis contre les Houthis. Mais en réalité, les intérêts des différentes factions sont divergents, ce qui a favorisé les Houthis.

 

Récemment, Rashad al-Alimi a créé une nouvelle faction militaire qui lui obéit directement. La « Force du bouclier de la nation » a comme ambition de regrouper toutes les forces anti-Houthis “éparpillées”.

 

Mais il est hors de question pour le CTS de reconnaître cette force, alors qu’il a conquis la totalité du sud. A noter que des dizaines de militaires du gouvernement yéménite avaient été tués pendant l’été 2022 lors des combats à Shabwa (région du Hadramaout), tuées par le CTS et les Emirats.

 

Le sentiment séparatiste est très fort dans le sud du Yémen, accru par le soutien des Émirats arabes unis.

Le Sud pourrait définitivement faire sécession si les Houthis et l’Arabie saoudite signent un accord de paix.

 

 

Le point rouge est Shabwa

 

 

 

 

Le Yémen, l’une des pires crises humanitaires au monde

4,5 millions de personnes sont des déplacés internes et plus de deux tiers des 33 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté.

De plus, les communautés yéménites accueillent 100.000 réfugiés et demandeurs d’asile provenant d’autres pays.

 

Fin février, à la conférence internationale organisée par l’ONU, les pays donateurs ont promis 1,2 milliard d’euros pour venir en aide au Yémen, ce qui est un montant quatre fois inférieur à celui espéré.

Après huit ans de guerre, c’était la septième conférence des donateurs.

 

L’an dernier déjà, l’ONU n’avait obtenu que la moitié des sommes demandées et les agences humanitaires avaient dû réduire le nombre de rations alimentaires distribuées.

Le pays manque d’infrastructures, souffre des groupes armés, de la corruption, des routes bloquées et des mines.

 

Grâce à l’aide des pays donateurs, l’ONU apporte de la nourriture, de l’eau potable ou des abris.

Mais les groupes armés ne leur facilitent pas la tâche : les travailleurs humanitaires sont victimes d’attaques de plus en plus fréquentes.

 

La mission humanitaire souffre aussi de restrictions de mouvement, surtout dans les zones contrôlées par les Houthis : comment accéder aux personnes ?

Les besoins humanitaires sont pourtant alarmants, et l’économie du pays dévastée.

 

En raison de l’inflation et de la hausse des prix de l’énergie, des Yéménites se voient contraints de pratiquer une déforestation sauvage, afin de vendre le bois des arbres, servant ainsi à se chauffer et à faire cuire les aliments, notamment le pain.

 

Selon les chiffres officiels, plus de six millions d’arbres ont été abattus depuis le début de la guerre.

C’est une catastrophe écologique qui de surcroît favorisera les inondations.

 

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