Somalie : la Turquie appuie l’ancien président et la guerre civile menace
Somalie : la Turquie appuie l’ancien président et la guerre civile menace
Ce qu’il faut savoir sur la Somalie
Chassés de Mogadiscio (capitale de la Somalie) en 2011, les shebabs ont ensuite perdu l’essentiel de leurs bastions. Mais ils contrôlent toujours de vastes régions rurales (environ 20 % du territoire somalien), notamment dans le sud.
On estime qu’il y a actuellement 5.000 à 9.000 combattants shebabs.
Affiliés à Al-Qaïda, ils ont juré la perte du gouvernement somalien, soutenu par la communauté internationale et les 20.000 hommes de la force de l’Union africaine en Somalie (Amisom).
Ils organisent régulièrement des actions de guérilla et des attentats, notamment à Mogadiscio.
Malgré les coûteux efforts internationaux pour les vaincre, ces rebelles islamistes gagnent du terrain.
Les shebabs devraient encore se renforcer
Il faut souligner trois événements qui vont avantager les shebabs :
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Le départ des 20 000 soldats de la force africaine Amisom fin 2021.
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Le départ des soldats américains, réaffectés dans les bases militaires US au Kenya et à Djibouti. De ces bases, Washington promet de poursuivre la lutte contre les shebabs.
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Les problèmes politiques, colossaux, et suite à cela, une éventuelle dissolution de l’armée somalienne
Actuellement, les shebabs poursuivent leurs offensives sanglantes. Ils attaquent souvent hôtels et restaurants, et cherchent à accroître leurs conquêtes territoriales.
Le dernier attentat connu eût lieu le 29 mars à Mogadiscio : une bombe visait un véhicule transportant le secrétaire du district de Deynile, et a tué au moins 5 civils.
Comment se financent les shebabs ?
Les shebabs se financent via des réseaux mafieux. Ils sont infiltrés dans l’économie somalienne et ne manquent pas de ressources.
– Ils pratiquent le racket, recyclé ensuite via les banques somaliennes dans l’immobilier et le commerce.
– Ils font entrer en Somalie des produits leur servant à fabriquer des explosifs. Ils y parviennent malgré l’embargo sur les armes.
– Ils ont infiltré les ports.
– Ils fabriquent eux-mêmes des engins explosifs actionnés à distance.
Le Kenya démuni face aux shebabs
La large frontière est du Kenya borde le sud de la Somalie où pullulent les shebabs.
Si la situation est très tendue en Somalie, elle l’est également au Kenya.
Déjà, il y a plus d’un an, en janvier 2020, les enseignants kényans disaient avoir peur et être en colère, suite à une dizaine d’attaques dans le nord-est du pays.
Depuis, la situation s’est beaucoup dégradée, malgré l’appel à l’aide du syndicat national des enseignants.
En janvier 2021, les shebabs disaient avoir pris le contrôle de villes kényanes et somaliennes, faisant des dizaines de victimes dans de multiples attentats à la bombe.
Dans le nord-est du Kenya, le désespoir gagne face aux shebabs :
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Écoles fermées car des enseignants pris pour cible s’enfuient
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Déplacements extrêmement dangereux, des bus attaqués
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Décapitation d’un chef local en décembre 2020
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Policiers et civils pris pour cible
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Les antennes relais de téléphonie mobile sont régulièrement détruites, afin d’empêcher les communications
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Attentats et embuscades
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Enlèvements contre rançon
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Des habitants sont obligés de payer la zakat, l’impôt islamique.
Une grande partie de la population se sent abandonnée face aux exactions croissantes des shebabs.
Les frontières sont extrêmement poreuses.
L’extrémité nord-est du Kenya est en train de passer sous le contrôle des shebabs.
Lesquels recrutent localement parmi une population marginalisée et manquant de services publics.
Tensions très fortes entre Somalie et Kenya
Cela fait des années que ces deux voisins connaissent des tensions, mais cela monte actuellement d’un cran.
Il y a plusieurs raisons majeures :
– Conflit territorial maritime au sujet de réserves importantes de ressources naturelles (pétrole, gaz et eaux très poissonneuses). Ce désaccord sur la frontière maritime est au centre d’une affaire à la Cour pénale internationale de La Haye. Et semble interminable, la Somalie ayant lancé la procédure en 2014.
– Les attaques des shebabs somaliens contre le Kenya.
– La Somalie accuse le Kenya de se mêler de ses affaires internes, via la région semi-autonome du Jubaland, située à la frontière du Kenya. Il y eût plusieurs fusillades à la frontière. La Somalie a accusé le Kenya d’avoir armé des milices locales pour attaquer ses forces à la frontière. Et le Kenya soutient le président du Jubaland, fervent opposant au gouvernement central de Somalie.
– La présence de troupes kenyanes au sein de la force de l’AMISOM, perçue comme un enracinement du Kenya dans le Jubaland.
Des conséquences importantes
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La Somalie a rompu en décembre 2020 ses liens diplomatiques avec le Kenya. Cela suite à la visite officielle du président de la région du Somaliland au Kenya.
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Après le Kenya, la Somalie se fâche aussi avec Djibouti et l’Igad. Cela en raison d’un rapport de l’organisation sous-régionale Igad très favorable au Kenya au sujet de la tension frontalière terrestre entre Somalie et Kenya. Selon ce rapport, dont les observateurs sont djiboutiens, le Kenya ne soutient pas de milice au Jubaland contre l’État central somalien.
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Une fois de plus, le Kenya veut fermer des camps de réfugiés installés sur son territoire. Ils abritent des centaines de milliers de ressortissants somaliens depuis trois décennies. Il met la pression sur l’ONU, car les réfugiés sont protégés par la Convention de Genève. Le Kenya accuse certains réfugiés d’entretenir des liens avec les shebabs.
La Somalie est divisée, fracturée
La Somalie est une fédération.
Or, 3 Etats de cette fédération posent problèmes.
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Le Somaliland, situé à l’extrême nord-ouest, est indépendant de facto. Il revendique l’indépendance vis-à-vis de la Somalie.
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Le Puntland, complètement au nord, est situé entre le Somaliland et la Somalie. Il est autonome mais ne revendique pas l’indépendance.
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Le Jubaland, au sud, est situé à la frontière avec le Kenya. C’est une région semi-autonome source de tensions très fortes entre la Somalie officielle et le Kenya. La Somalie accuse le Kenya de soutenir militairement l’autonomie du Jubaland.
Au sujet des élections en Somalie, les tensions sont très fortes entre les Etats fédéraux, notamment ces 3 régions autonomes, et le pouvoir central.
Le président, Mohamed Farmajo, est encore en poste alors que son mandat a expiré le 8 février.
Les législateurs devaient à cette date choisir un nouveau président, mais le processus a été retardé après que l’opposition a accusé le président d’avoir rempli les commissions électorales de partisans.
Et depuis des semaines, le gouvernement fédéral et les Etats fédéraux n’arrivent pas à s’accorder au sujet de l’organisation des élections.
Cela malgré les multiples rencontres, négociations et les pressions internationales.
Le blocage institutionnel est total
La Somalie est un Etat fragile, et des désaccords si intenses pourraient fracturer définitivement le pays.
Mais le président s’accroche à son poste.
Pendant ce temps, l’opposition se renforce : les chefs du Jubaland et du Puntland ont rejoint les candidats à la présidentielle et des membres de l’opposition pour former une coalition.
Un modèle électoral avait pourtant été convenu le 17 septembre entre le gouvernement fédéral et les dirigeants des États afin d’élire les membres du parlement, les sénateurs et le Président.
Mais ce modèle n’est pas suivi, le président semble buté.
La situation est telle qu’en février, des affrontements ont eu lieu entre des militants de l’opposition et les forces gouvernementales.
Des affrontements avaient déjà eu lieu en décembre, faisant au moins 4 morts.
Les manifestants protestaient, au sujet des élections parlementaires prévues le 10 décembre, contre la composition de la commission électorale.
Finalement ces élections n’ont toujours pas eu lieu.
Non seulement la Somalie officielle voudrait récupérer de l’influence sur les 3 régions autonomes, mais ces 3 régions souhaitent de leur côté conserver leur autonomie.
Il faut ajouter à ceci les pressions de pays étrangers, la Turquie en faveur du gouvernement actuel, et les Emirats arabes Unis en faveur de l’opposition.
L’armée somalienne pourrait se fracturer
Le président somalien est issu du puissant clan Darod. Mais la plupart des unités militaires dans et autour de la capitale sont issues du clan Hawiye, qui est fortement représenté dans l’alliance d’opposition.
Plusieurs signes montrent que l’armée pourrait se dissoudre pour revenir à des loyautés claniques. Ces dernières années, des efforts soutenus par la communauté internationale ont tenté de transformer les milices en forces nationales, mais la loyauté envers les commandants individuels et les clans reste forte.
Le gouvernement et l’opposition pourraient donc faire appel à des partisans armés en cas de nouveaux combats, ce qui fait planer le spectre de forces rivales s’affrontant à nouveau dans les rues de la capitale. Donc le risque d’une guerre civile est réel.
La Turquie fait pression pour que le président actuel reste en place
La Turquie soutient totalement l’ancien président Mohamed Farmajo, qui est de facto encore président, mais ne l’est plus officiellement depuis le 8 février.
En effet la Turquie a énormément investi en Somalie, et elle redoute un scénario à la soudanaise où le pouvoir change et lui devient soudainement hostile.
Voici les investissements principaux de la Turquie en Somalie :
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Une base militaire très importante, qui forme des milliers de soldats somaliens. Si l’armée somalienne éclate, comme cela en prend actuellement le chemin, l’échec serait retentissant pour la Turquie.
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Le site de lancement pour les fusées spatiales de la Turquie sera construit en Somalie.
La Turquie espère en retour des faveurs sur le pétrole somalien, et des avantages économiques.
Mais les obstacles sont nombreux.
L’opposition et les shebabs sont tous deux hostiles à la présence turque en Somalie.
Les shebabs accusent le président de livrer les ressources économiques de la Somalie à la Turquie, tandis que l’opposition reproche à la Turquie de faire de l’ingérence dans les élections. Ingérence naturellement en faveur du président.
La Somalie prise en étau entre Turquie et Emirats arabes Unis
Les Emirats arabes Unis (EAU) sont alliés avec le Somaliland et le Puntland, Etats fédéraux situés au nord de la Somalie.
Cette alliance très forte a plusieurs motivations :
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Les EAU sont ainsi bien placés pour contrer l’influence turque, qui est très importante dans la Somalie officieuse.
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Le golfe d’Aden est stratégique car près de 10 % des marchandises commercialisées dans le monde passent dans ce carrefour d’échanges maritimes entre Europe et Asie.
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Les Emirats Arabes Unis sont également positionnés sur l’île de Socotra et sur l’île de Mayyun, qui sont yéménites. Avec le Somaliland et le Puntland, ces 4 assises sont importantes pour eux dans le cadre de leur implication dans la guerre au Yémen.
Les EAU veulent aider l’opposition somalienne à vaincre le président (ou plutôt ancien président) Farmaajo.
La rivalité est ancienne entre le bloc EAU – Arabie saoudite – Egypte contre le bloc Turquie – Qatar. Le premier bloc a gagné le soutien du Soudan, et le 2e de l’Ethiopie.
La population somalienne souffre de la famine
La population connaît un enchaînement de difficultés aux conséquences dramatiques :
– Catastrophes climatiques et sécheresse
– Infestation de criquets pèlerins, qui ravagent les terres agricoles.
– La pandémie de Covid-19.
Résultat, l’insécurité alimentaire est forte : environ 5,9 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire.
Et environ 2,65 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire grave jusqu’en juin.
840.000 enfants de moins de cinq ans risquent de souffrir de malnutrition aiguë.
L’ONU et le gouvernement somalien plaident pour une intensification de l’aide d’urgence. En effet, le plan 2021 devrait permettre de fournir une aide à “seulement” 4 millions de personnes.
A noter que de juillet à décembre 2020, l’aide a touché plus de 1,8 million de personnes par mois en moyenne dans certaines régions. Ce soutien, venant aussi de la Turquie, a contribué à minimiser l’ampleur de la crise.
Sources: AFP, ONU, RFI
Merci pour cet article qui permet d’y voir un peu plus clair.