Face à la pression djihadiste, le riche Niger va-t-il céder à la Turquie ?
Face à la pression djihadiste, le riche Niger va-t-il céder à la Turquie ?
Le sous-sol du Niger est l’un des plus riches de l’Afrique sub-saharienne : uranium, charbon, or, fer, étain, phosphates, pétrole, molybdène, sel et gypse.
L’exploitation de l’uranium est la plus importante de ses ressources, en plaçant le Niger au troisième rang mondial avec 70% des exportations du pays.
Pression des djihadistes
Le Niger subit les pressions des djihadistes sur notamment deux fronts :
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La zone dite des « Trois Frontières », à l’ouest, jouxtant Mali et Burkina Faso : ce sont des djihadistes affiliés au groupe Etat islamique (EIGS). La plupart de ces djihadistes viennent du Mali et sont des Peuls.
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A la frontière avec le Nigeria et le Tchad, à l’est : Boko Haram et ISWAP (ce dernier affilié au groupe EI), composés essentiellement de Nigérians.
De nombreux pays présents au Niger
Pour faire face à ces djihadistes, et aussi pour d’autres raisons (richesse du sous-sol et lutte contre les influences russe et chinoise, entre autres), plusieurs pays ont des implantations militaires importantes au Niger :
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France : les 100 soldats de Barkhane font régulièrement des expéditions au Niger
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Etats-Unis : base militaire sur laquelle s’appuie la force Barkhane
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Emirats Arabes Unis : base militaire (afin de soutenir le maréchal Khalifa Haftar en Libye)
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Canada, Italie, Allemagne…
L’armée du Niger, investie mais décrédibilisée
L’armée du Niger, quant à elle, dispose de 25.000 soldats.
Elle fait aussi partie de la Minusma (ONU), de la Force conjointe du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina, Niger, Tchad) : 5.000 hommes.
Et de la Force multinationale mixte, qui regroupe les pays du lac Tchad.
Les djihadistes vivent de trafic (aussi humain), de racket, de rançons suite à des enlèvements, et prélèvent des “impôts”.
De nombreux jeunes, confrontés à la pauvreté, au chômage, sont tentés de rejoindre le djihad.
Alors que les États sont défaillants, que la corruption est forte, ils sont nombreux à faire ce choix.
D’autant plus que l’armée a été accusée de graves exactions.
Les services publics sont délaissés, tandis que les policiers et militaires sont accusés de commettre des exactions contre les civils.
Cependant, le Niger veut aller de l’avant, alors qu’il a annoncé un doublement du nombre de soldats d’ici 5 ans.
Quand un conflit local dégénère en attaque djihadiste
Le Niger vient de décréter un deuil national de trois jours, suite au massacre de 100 civils samedi.
Il n’a pas encore été revendiqué, mais le Niger l’attribue à des jihadistes locaux, car le chef présumé serait issu d’un village voisin.
Les attaques de deux villages ont été menées dans la zone des « Trois Frontières », cible habituelle des djihadistes.
Au point de départ, les djihadistes avaient envoyé des éclaireurs dans un village, qui ont été tués par les groupes d’auto-défense.
Les djihadistes ont ensuite lancé des représailles aveugles et meurtrières sur ce village et sur un village voisin.
Il faut dire qu’au Sahel de nombreux villages sont soumis à des pressions, sommés de coopérer avec le groupe Etat islamique. Ils sont aussi rackettés.
Ainsi, de nombreux chefs de villages sont régulièrement tués, faute de coopération.
L’État fait défaut au Niger, comme dans les autres pays du Sahel.
Mais suite à ces attaques très choquantes, l’État du Niger a renforcé sa présence militaire dans la zone, et fait montre de compassion et de solidarité, d’autant plus que les vivres des 2 villages ont été détruites, et de nombreux habitants contraints de fuir, encore une fois.
Des déplacés toujours plus nombreux
Suite au massacre des 100 civils dans l’ouest du Niger, les rescapés ainsi que les habitants de 4 autres villages voisins ont fui, et des dizaines d’écoles sont fermées.
Selon les autorités nigériennes, ils ont surtout fui vers le sud, où un dispositif d’accueil les attend.
Mais souvent les villageois fuient vers des zones dépourvues de moyens, où se trouvent déjà de nombreux déplacés antérieurs.
La région de Tillabéri regroupe déjà 88 000 personnes ayant fui auparavant leurs domiciles.
Et selon l’ONU, un million de personnes sont déplacées au Niger.
Les locaux ainsi que différentes agences de l’ONU leur apportent une aide humanitaire.
Avant ce massacre, la situation à l’ouest était moins catastrophique que chez les voisins
Ces attaques sur les villages de Tchombangou et de Zaroumdareye sont les pires dans l’ouest du Niger depuis très longtemps.
Récapitulons les attaques précédentes de l’EIGS au Niger dans la zone des Trois Frontières :
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Décembre 2019 : contre les forces armées nigériennes (71 morts).
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Janvier 2020 : attaque contre un poste militaire nigérien (89 tués).
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Mai 2020 : attaque contre des villages (20 morts)
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Décembre 2020 : 14 militaires nigériens morts dans une embuscade
Suite notamment aux 2 attaques de fin 2019, début 2020, de nombreuses mesures militaires ont été prises par le Niger et son allié français, et grâce à cela, la situation s’est globalement apaisée.
Au sujet du front est, l’on note « seulement » 2 attaques importantes djihadistes en 2020 :
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Mai 2020 : plusieurs soldats tués par ISWAP
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14 décembre 2020 : 34 civils ont été tués par Boko Haram
La Turquie renforce ses liens militaires avec le Niger
La Turquie est très impliquée dans un pays situé au nord du Niger, la Libye.
Elle soutient le gouvernement officiel, le GNA, qui est en lutte contre l’armée du maréchal Haftar.
Prévaut en ce moment un statu quo.
Si la Turquie peut s’ancrer militairement au Niger, ce serait stratégiquement intéressant afin de soutenir le GNA qui domine l’ouest libyen.
Région où la Turquie a envoyé des milliers de mercenaires syriens afin de soutenir le GNA. Un grand nombre sont des djihadistes affiliés au groupe EI (il faut y ajouter des centaines de djihadistes libérés par le GNA).
La Turquie a signé un accord de coopération sur la formation militaire avec le Niger en juillet.
Le Niger, qui doit combattre des djihadistes sur 2 fronts, a de bonnes raisons de s’inquiéter de la présence de milliers de djihadistes dans l’ouest libyen.
Se rapprocher de la Turquie peut l’aider à se rassurer au sujet de ce front nord, même si les djihadistes syriens ont été amenés en Libye par la même Turquie.
Par ailleurs, il faut noter que depuis la signature de l’accord avec la Turquie en juillet, il n’y avait plus d’attaques djihadistes ni dans l’ouest, ni dans l’est nigérien.
Il était question en juillet de créer une base militaire turque au Niger.
Peut-être que les 3 récentes attaques, à savoir :
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Ouest : l’embuscade de décembre 2020 ayant tué 7 militaires nigériens
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Ouest : le massacre début janvier 2021 des 100 civils
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Est : l’attaque en décembre 2020 de Boko Haram ayant tué 34 civils
Vont inciter le futur président nigérien à accéder à cette requête turque.
Il ne faudrait pas que le Niger doive en plus combattre sur son front nord contre des djihadistes venus de Libye.
Il est possible que la France dissuade – pour le moment – le Niger de donner son accord à une base militaire turque.
La France importe une grande partie de l’uranium nigérien, et tient à son influence dans cette partie du monde.
Par ailleurs, notons que la Turquie veut aussi développer sa coopération minière avec le Niger : un accord avait été signé il y a un an pour que la Turquie puisse prospecter dans 3 zones du sud-ouest.
Malgré le contexte, les élections ont eu lieu dans le calme
Bien entendu les candidats à la présidentielle promettent de lutter contre toute cette insécurité.
Les élections se sont bien passées, sans attaque, et avec l’aide de l’ONU.
Seuls quelques dysfonctionnements ont été signalés : des retards pour l’ouverture de bureaux de vote et la formation parfois insuffisante des personnels de ces bureaux. Un second tour se tiendra comme prévu le 21 février et permettra de savoir qui sera le prochain président.
Le Niger prend des mesures afin d’éviter l’engrenage des violences interethniques
Comme dans les pays voisins, le Niger est confronté à une explosion démographique et à raréfaction des terres agricoles en raison du dérèglement climatique.
Donc les tensions sont de plus en plus vives entre les agriculteurs et les éleveurs.
Le Niger a décidé depuis longtemps d’éviter la formation de milices d’auto-défense, qui se constituent souvent autour d’ethnies.
Cela afin d’éviter les représailles sur des civils innocentes mais issus de la même ethnie.
D’autre part, suite au massacre de 100 civils, a été décidé l’organisation prochaine d’un forum, sous l’égide du ministre de l’Intérieur.
Il devra regrouper les chefs de cantons, de villages et de tribus des deux départements concernés par le massacre, ceux de Banibangou et Ouallam.
Sources: AFP, ONU, Reuters, RFI