Le Brésil submergé par la criminalité

Le Brésil submergé par la criminalité

 

Luiz Inacio Lula da Silva, dit Lula, est à nouveau le président du Brésil depuis le mois de janvier, après avoir battu de peu le président de droite Jair Bolsonaro.

Il doit affronter de nombreux défis car au Brésil la pauvreté et la faim sont des fléaux.

 

La situation politique est maintenant stabilisée après la mise à sac le 8 janvier d’institutions par des milliers d’émeutiers favorables à Jair Bolsonaro, qui avait remis en cause la régularité de l’élection présidentielle.

L’assaut est survenu une semaine après l’arrivée au pouvoir de Lula.

 

Sont maintenant remis à neuf le palais présidentiel, le Congrès et la Cour suprême du Brésil.

Plus de 2.000 personnes ont été arrêtées.

Les émeutiers ont bénéficié de complicités au sein des forces armées et de la police.

 

Un risque de putsch militaire ?

Au Brésil, il faut distinguer la police militaire de l’armée.

La police militaire, qui compte les effectifs les plus importants de toutes les polices (500 000 agents), est placée sous le commandement des gouverneurs des 27 Etats de la fédération.

 

Les émeutiers ont profité d’une certaine clémence de la police militaire locale de la capitale, Brasilia, forte de 10 000 hommes.

Après les émeutes, le gouverneur a été suspendu, et le responsable de la sécurité arrêté.

 

On savait déjà ces deux personnalités favorables à Bolsonaro.

Une purge est faite au sein de la police fédérale, avec un nouveau directeur général, lequel a procédé au remplacement des 27 nouveaux superintendants régionaux de la police fédérale, dont bien sûr celui de Brasilia.

 

Une purge est aussi faite au sein de l’armée, qui était proche de l’ancien président.

Mais elle n’est pas massive, afin d’éviter de radicaliser le clan Bolsonaro, très présent chez les militaires. Il faut éviter un putsch.

 

C’est pourquoi le tout puissant ministre de la défense, José Mucio, est maintenu à son poste, malgré son soutien aux manifestants anti-Lula.

Lula est face à un pays divisé, il reste sous la menace des pro-Bolsonaro, même s’il y a peu de chances que l’ancien président ne revienne au Brésil.

 

Il s’est réfugié aux Etats-Unis peu de temps avant la prise de fonction de Lula, et il lui serait risqué de revenir, bien qu’ayant annoncé rentrer au pays en mars (nous sommes bientôt en avril).

 

En effet, il est menacé de poursuites judiciaires, accusé d’avoir voulu garder pour lui des bijoux offerts par l’Arabie saoudite, alors que selon la loi, ils auraient dû revenir à l’Etat brésilien.

Mais surtout, il est accusé d’avoir orchestré les émeutes survenues début janvier.

 

Quelques succès récents contre les gangs

Des opérations policières sont régulièrement menées dans les quartiers défavorisés de la région métropolitaine de Rio de Janeiro.

Ces derniers jours au moins 13 personnes (suspectées de participer à des activités criminelles) y ont été tuées dans des affrontements avec les forces de l’ordre.

 

Cela suite à la volonté d’arrêter un chef de gang impliqué dans la mort de plusieurs policiers.

Ce dernier est mort dans les affrontements.

 

Et mercredi, des arrestations ont eu lieu dans un gang soupçonné de préparer des assassinats politiques.

Le Primeiro Comando da Capital est l’un des groupes qui domine le trafic de drogue en Amérique latine.

 

Des sources affirment que parmi les personnalités visées figurait Sergio Moro, le ministre de la Justice sous Jair Bolsonaro, qui avait ordonné le transfert dans des prisons de haute sécurité d’une vingtaine de membres du gang, et surtout de son leader historique, Marcola.

 

Un gang sème la terreur dans le nord-est

Le « Syndicat du crime » multiplie les actions violentes dans le Rio Grande do Norte, au nord-est du pays.

 

Une trentaine de villes sont touchées par des incendies de véhicules de transports et de bâtiments publics, de médicaments, des commerces sont saccagés, et les habitants subissent des échanges de tirs…

 

Les dégâts sont gigantesques.

Sont perturbés le fonctionnement des transports publics, de la collecte des déchets, mais aussi hôpitaux et écoles.

 

700 policiers de la force nationale ont pourtant été envoyés en renfort.

Le redoublement de violence a démarré suite à des opérations policières contre le trafic de drogues et d’armes.

 

Le « Syndicat du crime » dénonce aussi les conditions de détention dans les prisons locales. L’ordre de mener des actions violentes vient d’un pénitencier où l’un des fondateurs du Syndicat du crime purge une peine de prison. Le gang propose même de l’argent en échange des attaques.

 

Ce n’est pas la première fois que les prisonniers donnent l’ordre d’attaquer.

En réponse, l’État fédéral promet une amélioration du système pénitentiaire, mais annonce aussi de nouveaux renforts, et plus de matériel pour les forces de police.

 

Le ministre de la Justice a annoncé mi-mars envisager l’envoi de l’armée si la situation ne se stabilisait pas le week-end du 18-19 mars.

Pas de nouvelles depuis.

 

Limiter les armes au Brésil

Pendant l’ère Bolsonaro, le nombre d’armes à feu détenues par des particuliers a beaucoup augmenté au Brésil, en raison de changements juridiques promus par le précédent président.

Bolsonaro était très favorable à l’armement des civils au nom de la légitime défense.

 

Mais Lula veut lutter contre les armes afin de faire baisser la criminalité, même s’il y eut une baisse des homicides pendant le mandat de Bolsonaro.

Selon les soutiens de l’ancien président, c’est grâce à la prolifération des armes.

 

Mais les opposants attribuent cette diminution à des trêves entre groupes criminels ou à la diminution de la population jeune.

Le gouvernement Lula impose désormais des restrictions aux armes détenues par les particuliers.

 

Le niveau de violence est très élevé au Brésil.

Le problème n’est pas seulement celui des armes détenues par les particuliers, mais c’est aussi qu’elles peuvent être volées et se retrouver sur le gigantesque marché illégal.

Le clan Bolsonaro est vent debout contre les mesures prises au sujet des armes à feu.

 

Comment lutter contre la pauvreté sans trop dépenser ?

Au Brésil, 9,5 millions de personnes vivent dans des zones exposées aux glissements de terrain ou aux inondations, dont beaucoup dans des favelas dépourvues d’infrastructures sanitaires de base.

Le pays connaît donc souvent des catastrophes naturelles.

 

Encore récemment, fin février 2023, au moins 44 personnes sont mortes dans le sud-est du pays, endeuillant le légendaire carnaval enfin de retour après la parenthèse du Covid.

Le pays a été très choqué.

 

Lula aurait besoin de financements pour mettre en œuvre une grande politique de logement et d’assainissement.

Au lieu de cela, il met en garde contre les dangers des constructions urbaines situées au pied de collines.

 

Par ailleurs, dans ce pays de 215 millions d’habitants, 33 millions de personnes souffrent de la faim, et l’esclavage moderne se répand car de plus en plus de gens travaillent dans des conditions semblables à l’esclavage, surtout dans les activités agricoles, la confection ou le bâtiment.

 

Rien n’est actuellement annoncé pour renforcer le nombre d’inspecteurs du travail (il y a moins de 2.000 inspecteurs au Brésil), mais en revanche Lula veut relancer les programmes sociaux :

 

  • Relance du programme de logements sociaux « Ma Maison, ma vie ». Objectif : construire 2 millions de logements d’ici à 2026.
  • Le salaire minimum a été augmenté de 1,3 %.
  • Les foyers bénéficiaires de la célèbre Bolsa Familia (une allocation conditionnée à certaines obligations d’éducation) recevront plus d’argent.
  • Fin février, le gouvernement a également rétabli le Conseil national pour la sécurité alimentaire, essentiel au combat contre la faim.

 

Mais les perspectives de croissance ne sont pas réjouissantes :1,2 % de croissance prévu par le Fonds monétaire international.

Par ailleurs le produit intérieur brut a reculé de 0,2 % au dernier trimestre 2022.

 

Pour Lula, le coupable est le Président de la banque centrale, nommé par Jair Bolsonaro, accusé de maintenir au plus haut les taux directeurs afin de saper la croissance et le début du mandat. Mais l’opposition accuse Lula de trop dépenser, sans prendre en compte dette et inflation.

 

De plus, le nouveau Congrès brésilien, issu des législatives d’octobre, penche plus à droite que le précédent.

Le président de gauche devra donc constamment négocier.

 

Le Brésil en symbiose avec une Amérique latine qui penche à gauche

Si le climat interne est tendu au Brésil, il n’en est rien avec ses voisins d’Amérique latine.

Le VIIe sommet de la Communauté des États latino-américains et caribéens (Celac) s’est achevé le 24 janvier à Buenos Aires.

 

Le président argentin Alberto Fernandez a fait applaudir le retour du Brésil dans la Celac, car ce pays l’avait quittée sous Jair Bolsonaro.

A noter aussi, plusieurs accords de coopération signés entre Argentine et Brésil.

 

Le Brésil est le dernier en date d’une “vague rose” en Amérique latine, avec le retour de gouvernements de gauche ou centre-gauche.

L’Amérique latine unie parlera plus facilement d’une seule voix au sein du Celac, qui est l’interlocuteur de la Chine, ou de l’UE.

 

Les chefs d’État et de gouvernement de la Celac verront leurs homologues européens lors d’un sommet les 17 et 18 juillet à Bruxelles. Ce sera le premier depuis 2018.

Le retour de Lula pourrait donner un coup de fouet à certains dossiers, tels l’accord de libre-échange UE-Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay).

 

Des relations mitigées avec l’Occident

Si l’entente du Brésil est bonne avec l’Amérique latine, c’est mitigé avec l’Occident.

Lula a d’abord voulu restaurer l’image du pays à l’international en rencontrant le chancelier allemand, la ministre française des affaires étrangères, et surtout Joe Biden.

 

Mais les alliés occidentaux du Brésil reprochent à Lula sa neutralité concernant le conflit en Ukraine (Lula juge Volodymyr Zelensky aussi responsable que Poutine de la guerre”).

 

La proximité avec la Russie se perçoit aussi car il est question de créer une monnaie unique entre le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud.

Le sujet sera discuté au prochain sommet des BRICS en août.

 

Il est également reproché à Lula son refus de condamner les violations des droits humains commises au Nicaragua, ou encore l’autorisation récente accordée à deux navires de guerre iraniens d’accoster. A noter que l’Iran est allié avec la Russie.

 

Les États-Unis s’inquiètent aussi de l’influence de la Chine, premier partenaire du Brésil. Lula se rendra à Pékin en avril, accompagné d’une délégation de 240 représentants d’entreprises, dont 90 du secteur agricole.

 

Tous les ministères du gouvernement seraient représentés.

Le Brésil espère diversifier ses relations commerciales avec la Chine.

Et il a besoin de financements pour lutter contre la pauvreté.

 

Amazonie : les Yanomami en pleine crise humanitaire

Les orpailleurs, qui extraient de l’or illégalement, causent des dégâts immenses.

L’extraction d’or illégale est majeure au Brésil.

Ainsi, en 2020, les opérations clandestines ont dépassé l’exploitation minière légale.

 

Et entre janvier 2021 et juin 2022, au moins 30% de l’or a été extrait illégalement.

L’extraction illégale d’or se fait en avançant sur les territoires amérindiens et les zones de protection environnementale.

 

Parmi ces territoires, il y a surtout celui des Yanomami, tribus d’origine amérindienne, qui sont environ 30.000 à vivre sur un territoire situé à cheval sur Brésil et Venezuela.

C’est la plus grande réserve indigène du Brésil.

Ils ont subi d’importantes intrusions sous le mandat de Jair Bolsonaro (2019-2022), qui était favorable à l’expansion des activités minières dans les zones protégées de la forêt.

Il disait vouloir mettre un terme à la dépendance du Brésil aux engrais russes, car les sanctions contre la Russie nuisent au commerce international.

 

Mais en réalité, il n’y a quasi pas de potassium dans la forêt amazonienne, et les réserves de potassium au Brésil sont déjà suffisantes.

Il voulait satisfaire l’industrie minière, car l’Amazonie est riche d’or et de fer.

 

Pour ce, il a assoupli les réglementations relatives à l’exploitation dans ces territoires, surtout concernant les activités minières.

Normalement, ces terres sont inviolables.

 

Et il a réduit les possibilités d’action des organismes de protection de l’environnement et des peuples indigènes.

Résultat, les orpailleurs ont massivement investi l’Amazonie : on y compte environ 20.000 chercheurs d’or clandestins.

 

Les conséquences sont catastrophiques pour les Yanomami : viols et violences, parfois mortelles, pollution des fleuves et rivières au mercure (utilisé pour séparer l’or des roches ou du sable), maladies, dénutrition, expulsion de communautés et destruction de la forêt amazonienne, ce qui empêche ces personnes de se nourrir.

 

En 2022, au moins 100 enfants de moins de cinq ans sont morts.

Le gouvernement Lula a ordonné l’ouverture d’une enquête pour “génocide” et a déclaré en janvier l’état d’urgence sanitaire dans la région.

 

L’impossible lutte contre le trafic d’or en Amazonie

En février, le gouvernement Lula a lancé une opération mobilisant l’armée pour déloger les orpailleurs. De grands moyens sont déployés : survols en hélicoptère pour trouver les bases d’orpailleurs, fermeture d’une partie de l’espace aérien afin d’empêcher le ravitaillement des bases par avion…

 

A noter que les orpailleurs disposent de centaines de pistes d’atterrissage, non seulement pour se ravitailler en nourriture et matériel nécessaire à l’exploitation d’or, mais aussi pour exporter l’or récolté.

 

Les résultats sont au rendez-vous car des milliers d’orpailleurs ont fui dans la forêt.

Le gouvernement leur a donné jusqu’au 6 mai pour partir volontairement, et ils peuvent même utiliser des corridors aériens contrôlés par l’armée.

Cependant, ils sont nombreux à poursuivre leurs activités dans des territoires voisins.

 

Malgré ce succès apparent, le Brésil manque de moyens face au fléau des orpailleurs, qui peuvent toujours revenir dans l’immense forêt.

Hormis ces petites mains, il faut s’attaquer à toute la structure qu’il y a derrière : entrepreneurs, politiciens locaux, tout un réseau qui achète l’or et l’exporte.

 

Le 14 janvier, la police fédérale a ainsi démantelé un réseau de contrebande d’or à destination des États-Unis et de Dubaï.

Une dizaine de criminels en col blanc ont été arrêtés.

L’or qu’ils vendaient était extrait du territoire yanomami.

 

Puis un tribunal a autorisé la saisie de plus de 380 millions de dollars auprès de dizaines de personnes et d’entreprises soupçonnées d’être impliquées dans le système.

Au moins deux sociétés brésiliennes auraient exporté des tonnes d’or.

 

Les enquêteurs ont aussi découvert des importateurs à Hong Kong, en Inde, en Italie, en Suisse et en Turquie.

D’importantes entreprises sont impliquées.

L’opération a nécessité la participation de plus de 100 agents de la police fédérale.

 

Comment sauver l’Amazonie ?

S’étendant sur neuf pays (surtout le Brésil), la forêt amazonienne fait partie des écosystèmes les plus vitaux de la planète.

Mais 17 % de la forêt originelle a été détruite, et 9 % fortement dégradée, soit 26 % affectés.

 

Sous Bolsonaro, la déforestation a battu des records, provoquée par les activités agricoles et industrielles.

Mais aussi en février 2023, avec 291 km2 rasés en Amazonie, soit 46 % de plus qu’en 2022.

 

L’Amazonie se transforme en savane, au grand dam de la biodiversité animale et végétale.

Lula a promis de tout faire pour lutter contre la déforestation illégale, mais a insisté sur l’importance de l’aide internationale.

 

Les États-Unis ont réaffirmé, sans préciser de montant, leur volonté de contribuer aux Fonds Amazonie, maintenant réactivé, dont les principaux bailleurs sont la Norvège et l’Allemagne.

L’Allemagne est prête aussi à contribuer à hauteur de 200 millions d’euros.

 

Par ailleurs il est question de soutenir les peuples amérindiens, souvent décrits comme des remparts contre la déforestation.

Environ 800.000 indigènes vivent au Brésil, la plupart dans des réserves qui occupent 13,75% du territoire.

 

Le nord-ouest échappe au contrôle de l’État

La vallée du Javari, vaste étendue de jungle isolée, aux frontières du Brésil avec le Pérou et la Colombie, est l’une des zones les plus périlleuses en Amazonie en raison de nombreux trafics.

 

Cette vallée compte aussi la plus grande concentration de tribus isolées.

Elle est en proie à une recrudescence des activités de pêche illégale, d’exploitation forestière et minière, et de trafic de drogue.

 

En juin, un ethnologue brésilien, qui luttait contre la pêche illégale, et un journaliste britannique, y avaient été assassinés. Fin janvier, la police fédérale affirme avoir identifié le commanditaire : il s’agirait d’un braconnier surnommé Colombia, soupçonné de diriger une organisation criminelle de pêche illégale dans la vallée.

 

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